Pas facile pour Enedis (ex ERDF), concessionnaire de la majeure partie du réseau d'électricité français, d'installer le nouveau compteur intelligent Linky. Un nombre croissant d'abonnés et de collectivités locales s'y opposent. Risque pour la santé des abonnés, atteinte à la vie privée, aucun bénéfice direct aux consommateurs, tout est bon pour s'opposer à la pose de ces appareils de comptage de nouvelle génération. D'autant que même la Cour des Comptes considère que cet appareil sert principalement à « rémunérer » Enedis, la filiale d'EDF, au détriment du service rendu aux consommateurs.
La grogne des opposants est d'autant plus fondée qu'on ne leur a pas vraiment demandé leur avis avant pose de ces compteurs intelligents, lesquels sont le plus souvent installés dans une propriété privée, un mur, une façade d'habitation, les dépendances d'un collectif... « La moindre des choses aurait été que l'on demande une autorisation d'installation », s'insurge le propriétaire d'un pavillon. « J'ai juste reçu un courrier d'ERDF (désormais Enedis – NDLR) m'indiquant qu'on allait changer mon compteur et que je devais favoriser l'accès de l'installateur. J'ai cru comprendre à travers ce courrier qu'il s'agissait d'une installation obligatoire à laquelle je ne pouvais pas me soustraire ».
« Depuis le 1er janvier 2005, les ouvrages des réseaux publics de distribution, y compris ceux ayant appartenu à Electricité de France appartiennent aux collectivités territoriales ou à leurs groupements désignés au IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales », précise le Ministère de l'Intérieur, dans une question écrite du sénateur de Moselle Jean-Louis Masson, en date du 3 mars 2016. Ce sont donc les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ou les départements désignés sous le terme d'AOD (Autorités Organisatrices de la Distribution d'électricité et de gaz) qui sont désormais propriétaires des fameux système de comptage. A charge de ces derniers d'assurer l'exploitation des réseaux de distribution via une régie locale, ou alors dans le cadre d'un contrat de concession conclu avec un gestionnaire de réseau. La plupart, ont établi ce contrat avec ERDF, bien placé pour connaître les installations, devenu Enedis, depuis mai 2016.
Le Ministère de l’Intérieur précise que « l'autorité concédante garantit au concessionnaire le droit exclusif de développer et d'exploiter le réseau de distribution d'énergie électrique sur son territoire et à cette fin d'établir, sous réserve des droits de l'autorité concédante, les ouvrages nécessaires ». C'est dans ce cadre qu'Enedis a proposé de moderniser le réseau en remplaçant, d'ici 2020, les compteurs classiques par les très controversés compteurs intelligents Linky.
« Désormais Enedis peut tout savoir de notre vie quotidienne. C'est une atteinte à la vie privée »
Si ces derniers vont faciliter le travail du concessionnaire qui n'aura plus a se déplacer pour les relever, modifier le fonctionnement ou les dépanner, tout en répartissant plus facilement la distribution de l'énergie sur le territoire, ils n'ont pas beaucoup d'intérêt pour l'usager. Ce dernier peut toujours consulter ses diagrammes de consommation d'énergie, à l'heure près, sans connaître les appareils gros consommateurs. Tout au moins pour l'instant.
S'ajoute à cela le fait qu'Enedis devient, le cadre des directives en matière de transition énergétique, non seulement gestionnaire de systèmes électriques mais aussi gestionnaire de données énergétiques. Et c'est bien ce qui inquiète les opposants. « Désormais Enedis peut tout savoir de notre vie quotidienne. C'est une atteinte à la vie privée. D'autant qu'ils peuvent revendre ces données à des organismes tiers qui viendront ensuite nous démarcher », crient haut et forts les opposants. Mais cette possibilité entrera dans le champ d’application, dès le 25 mai 2018, du Règlement général sur la protection des données des résidents de l'UE (RGPD). Enedis aura donc obligation, sous peine de lourdes sanctions financières, de se conformer à ce règlement.
Pour autant, le concessionnaire, qui souligne que « cette modernisation présente un intérêt collectif nécessaire pour répondre aux nouveaux usages », peut-il imposer un système de comptage, dans une propriété privé, dès lors que l'ancien répond à tous les critères techniques permettant de connaître la consommation globale de l'abonné ? Si certains, à l'exemple de l'association Robin des Toits, invoquent la modification forcée du contrat initial contracté entre l'abonné et le concessionnaire, en mélangeant extraits de textes législatifs, données techniques et principe de précaution pour les personnes électro-hypersensibles (EHS), d'autres mettent en avant et à juste titre la notion de violation de propriété. « Ils n'entreront pas chez-moi sans que je donne mon accord », préviennent les plus irascibles, certains bloquant même, en toute illégalité, l'accès au compteur. S'il est vrai qu'aucune procédure de refus n'est prévue, « nous ne faisons qu’appliquer une directive européenne en matière de transition énergétique qui nous demande de remplacer 100 % des compteurs », tentent de justifier les dirigeants d'Enedis.
Mais plutôt qu'imposer, le concessionnaire auraient pu demander l'avis de chaque citoyen avant pose, en exposant, en toute transparence, les avantages et les inconvénients de ces appareils « suspects » pour ceux qui considèrent que la fée électrique du siècle dernier risque de devenir un outil de plus au service de « big brother ». Et surtout respecter leur choix, quitte à faire payer un surcoût pour l'entretien.
Le compteur intelligent cristallise les tensions et le courant passe mal avec certaines communes. Elles sont de plus en plus nombreuses à prendre des délibérations interdisant au concessionnaire d'installer les nouveaux compteurs sur leur territoire. Une plate-forme intitulée POAL ( Plateforme Opérationnelle Anti Linky ) laquelle recense les communes frondeuses, avec carte interactive, a même été créée pour l'occasion. La transition énergétique, et toute la modernisation des appareils qui va avec, est encore loin d'être assurée.
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